L'héritage des Bushis

Les arts martiaux japonais, anciens ou modernes, tirent leurs racines de l’époque féodale du Japon, dont l’histoire est, tout comme en occident, émaillée de longues périodes de guerre entrecoupées de trop rares périodes de paix. Entre le VIe et le XIIe Siècle, le pouvoir est partagé entre un empereur et de puissants clans qui contrôlent chacun une portion du territoire japonais. Trois clans principaux s’entredéchirent pour se saisir du pouvoir :  le clan Fujiwara, le clan Taira et le clan Minamoto. Les affrontements entre ces clans provoquent famine et insécurité et pour répondre à cette dernière, une caste de guerriers émerge , mi-nobles, mi-soldats, les “Bushis”. Ce seront des officiers réguliers, entourés de serviteurs combattants et le plus souvent à cheval. Ils sont pour la plupart désignés par le chef de clan, le Daimyo ou les gouverneurs de provinces. Le bushi est également un propriétaire terrien. Lorsqu’il se bat, c’est pour défendre ses terres ou en conquérir d’autres. L’appartenance à un clan est donc liée au sol et au sang. Et s’il existe bien un code de conduite pour ces guerriers gentilshommes, il est loin de l’idéal que l’on s’en fait : la fuite devant l’ennemi est admise si cela permet de reconstituer ses forces…. point de déshonneur à cela. Le 6 juin 1615, Ieyasu Tokugawa finit détendre son emprise sur tout le japon lors d’une dernière bataille à Osaka contre le fils de son ancien seigneur, Toyotomi Hideyoshi, à Osaka, à la tête de 200.000 bushis. Afin d’asseoir son autorité et de ne plus affronter de rébellion, il décide de ne plus rémunérer ses bushis qu’au moyen de riz et non plus en monnaie. En effet, depuis un quart de siècle, les bushis avaient dû renoncer à leur terre et les gouverneurs de province étaient responsables de leur subsistance. En bridant ainsi leurs moyens financiers, Ieyasu Tokugawa précipite la fin de ces guerriers indépendants.

C’est donc à la fin du XVIe siècle qu’on voit apparaître une autre classe de guerrier, qui remplace celle des bushis : les samouraïs. Etymologiquement, “samouraï” signifie ‘celui qui sert’. Ils constituent une des 4 castes au Japon de l’ère Edo, aux côtés des paysans, des artisans et des commerçants. Alors que le bushi du XIIe siècle est souvent un noble de confiance, le samuraï du XVIe siècle est, lui, considéré comme un serviteur ou un garde du corps. Ancien bushi reconverti, il conserve un certain nombre de prérogatives comme le port du double sable, le privilège de mettre à mort un rival au sein du bas peuple, mais il reste payé en riz. Il perpétue la tradition martiale des bushis et leurs techniques de combats, mais se reconvertit progressivement dans l’administration ou la police (au sens ‘gardien de la sureté publique’). Il est malgré tout mal payé, souvent affamé, peu considéré au détriment d’autres castes de cette société japonaise en transformation.

Progressivement, ces guerriers redoutables vont s’orienter vers l’art. Ils vont aussi entretenir cette culture technique du combat en se focalisant majoritairement vers le sabre, qui devient, dans notre culture populaire occidentale, l’apanage romantique de ces guerriers légendaires (mais qui ne combattaient plus du tout). Les écoles d’arts martiaux apparaissent comme des sanctuaires de l’héritage technique des bushis mais également comme des lieux d’épanouissement personnel. Le samouraï devient également philosophe et envisage sa mort différemment, il y est constamment préparé. “la voie du samouraï se trouve dans la mort” peut-on lire dans le Hagakure (c’est plus facile à dire quand on ne s’affronte pas sur un champ de bataille à chaque belle saison, évidemment).

En 1616, un ouvrage, le Koyô Gunka, va mentionner un terme que résonne encore aujourd’hui chez de nombreux pratiquants d’arts martiaux : le bushido, la voie du guerrier. Derrière ce terme se regroupe une série de préceptes de comportement du samouraï, issue de la tradition des bushis mais également largement imprégnée du Bouddhisme et du Shintoïsme. Ce même code sera malheureusement agité sous le nez des kamikazes lors de la seconde guerre mondiale pour exacerber leur volonté de sacrifice et leur allégeance à la patrie et à l’Empereur.

En 1867, le dernier shogun du Japon remet sa démission à l’Empereur, alors uniquement détenteur du pouvoir spirituel. Celui-ci ne nommera pas de successeur et ouvrira le Japon à l’extérieur après une période renferment sur lui-même. Il abolira en 1870 la caste des samourais définitivement même si l’un d’entre eux, Takamori Saigô, se rebella mais fut finalement mâté.

Les écoles d’arts martiaux japonais actuelles sont donc le fruit de cette longue transformation initiée au début du second millénaire. Toutes ne sont pas multiséculaires, tant s’en faut. Beaucoup d’entre elles sont récentes et datent de la période située entre la fin du XIXe siècle et nos jours. Certaines deviendront des sports telles que le judo, certaines resteront attachées à la culture et aux traditions japonaises. Certaines connaîtront de multiples ramifications au gré des migrations des hautes grades, de leur synthèse de plusieurs écoles et parfois du hasard de leurs parcours. En tout état de cause, un art martial n’est pas figé. Il peut être traditionnel parce qu’ancré dans l’héritage de ces guerriers mythiques et en constante évolution à la lumière du chemin et du travail personnel de son ou ses leaders techniques.

Mais une école d’arts martiaux doit proposer à la fois une évolution technique et martiale, et une évolution et un épanouissement personnel. Cette ligne de conduite est celle de la Fédération de Ju-Jutsu Traditionnel. 

Sources :

1. “Du bushi au samouraï” : https://www.fudoshinkan.eu/bushi-samourai-evolution-guerrier-japonais-1/

2.”Les arts martiaux ou l’esprit des budô”, M. Random, Budo Editions, 2007

3. “Encyclopédie des arts martiaux”, G. Habersetzer & R. Habersetzer, Editions Amphora, 2004

4. “Bushidô, l’âme du japon”, I. Nitobe, Budo Editions, 2000